Extrait On the road again

J’ai écrit « On the Road Again ». Après un premier envoi aux grands éditeurs, je l’ai laissé de côté. Mais il m’arrive de temps en temps d’y retourner et je l’aime suffisamment pour le retoucher et avoir de nouveau envie de l’éditer.

Le personnage principal s’appelle Christian.

Voici un extrait de son calepin :

Tu sais ce qui me dérange chez toi ? C’est que tu crois tout savoir ! Tu es comme moi, tu te reposes sur des certitudes comme dit le poète. Des certitudes, tu trouves pas que c’est un joli mot pour dire que tu es trop fatigué pour te poser des questions ? Il en faut, de l’énergie, pour se poser des questions et puis les questions ça fait peur, parce qu’on peut trouver des réponses. Et puis, on en fait quoi ensuite, des réponses ? On change sa vie ? Non. On est tous pareils, on préfère se choisir des règles qui correspondent à ce qu’on est déjà, et on s’y tient.

Tu as appris sur le tas en fait, à force de recevoir des gifles. Tu sais comment ils appellent ça, dans le monde de l’entreprise ? L’apprentissage par l’échec. C’est beau, hein ? D’ailleurs, tu n’es pas le dernier à ressortir la phrase de Nietzsche que tout le monde connaît « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». Tu penses avoir acquis de l’expérience pour savoir quoi faire, mais tu n’as fait qu’accumuler des réflexes pour ne plus prendre de coups. Tu te brides, c’est péjoratif comme mot, alors pour te remonter le moral, tu te dis que toi, tu as compris comment ça marche et comment faire pour être tranquille, mais tu sais que tu t’empêches juste de faire de plus en plus de choses. Que tu devais être libre quand tu étais petit !

Bien sûr, pour faire comme tout le monde, tu admires les enfants parce qu’eux, ils se posent tout le temps des questions. Tu les trouves si plein d’esprit, si curieux de tout. Mais si tu regardes bien, leurs questions, elles n’ont aucun intérêt. Ce sont des questions pour faire joli, aussi vite posées, aussi vite oubliées. C’est juste des tests pour voir s’ils peuvent avoir confiance en toi, si tu comprends un peu mieux ce qui se passe autour de toi qu’eux. Parce que les enfants, ils n’ont que toi pour vivre. Tu leur enlèves les parents, ils meurent de faim !

Pauvre enfant. Tu te rappelles des coups que t’ont donnés tes parents quand tu étais petit ? Ils avaient tellement peur que ce soit la vie qui te les administre qu’ils ont préféré s’en occuper eux- mêmes, sans doute pour que ça ne sorte pas de la famille.

Alors, tu es arrivé adolescent, plein de haine incompréhensible. Tes hormones dictaient à ton corps qu’il devait se battre, qu’il devait se faire mal, se faire plaisir, explorer ses limites et déjà, les garde-fous t’en empêchaient. Tu voulais frapper, mais qui ? Qui était le responsable ? Tes parents ? Mon pauvre, te crois-tu capable d’abattre le tabou suprême ? De mordre la main qui t’a nourri ? Tu sais le nombre de gens qui ont essayé avant toi et qui sont devenus fous, pervers, avares ou simplement obsédés sexuels. Alors tu as frappé les murs, tu t’es fait mal, en te disant que la douleur calmait la douleur. Tu as essayé de comprendre. Puisque tu ne te comprenais pas toi, tu as voulu comprendre le monde. Finalement, ça à l’air plus facile. Tu as lu, tu as regardé la télévision. Tu as mangé la bouillie pré-mâchée du journal télévisé, jusqu’à en avoir la nausée. Tu as bu le sang des guerres, tu as mangé le ventre des enfants de la famine, tu as violé les femmes avec les violeurs, tu as imprimé toutes ces images dans ton cerveau jusqu’à ce qu’elles ne te fassent plus rien. On s’habitue à tout. Tu es comme un drogué des informations. La première fois, le drogué a juste envie d’essayer, toi, tu as juste voulu comprendre. Comme lui, il te faut des doses de plus en plus fortes, d’abord les faits divers et puis la guerre. Et surtout, le manque ! Le manque de savoir qu’une vieille dame s’est faite violer par dix adolescents à mille kilomètres de chez toi, que les bombardiers ont tué cent, mille, cent mille personnes ! Tu la veux, ta dose, et tous les jours tu te replonges là-dedans avec une horreur joyeuse. Que c’est bon de comprendre le monde !

 

 

 

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